Panique sur le saucisson : une interdiction des couteaux de poche ?

Séisme chez le Français moyen en septembre 2024 : celui-ci apprend sur divers sites internet que le port de couteaux de poche, Opinel et Laguiole en tête, serait en passe d’être interdit dans une douzaine de métropoles ! Mais n’était-ce pas déjà le cas, se dit notre brave randonneur du dimanche, pas avare de de saucisson ? Que risque-t-il à continuer à le prendre dans son sac de tous les jours, toujours prêt à le dégainer pour étaler du pâté ? Décryptage.

L’Opinel, au regard de la loi

Rappelons tout d’abord qu’une arme blanche est définie par l’article R311-1, 10° du Code de sécurité intérieure (CSI) comme « toute arme dont l’action perforante, tranchante ou brisante n’est due qu’à la force humaine ou à un mécanisme auquel elle a été transmise, à l’exclusion d’une explosion ».

Tous les couteaux1 sont classés par la loi française comme des armes blanches de catégorie D, c’est-à-dire dont l’acquisition et la détention sont libres, sauf pour les mineurs (art. L312-1 CSI). En revanche, le port et le transport d’armes de catégorie D hors du domicile sont prohibés sans motif légitime (articles L315-1 et R315-1 CSI). On retrouve dans cette catégorie D les « poignards, les couteaux-poignards, les matraques, les projecteurs hypodermiques », les « générateurs d’aérosols lacrymogènes ou incapacitants » ou encore les « armes historiques et de collection dont le modèle est antérieur au 1er janvier 1900 » (article R311-2 CSI). Que se passe-t-il en cas de contrôle ?

La généralisation des amendes forfaitaires délictuelles (AFD)

En cas de contrôle du sac ou du véhicule, le site Service Public indique que « vous devez être en mesure de fournir un motif légitime [concernant le port ou le transport d’un arme de catégorie D]. Pour déterminer si vous avez une raison valable de porter ou transporter une arme, les forces de l’ordre, ou le juge en cas de litige, tiennent compte du lieu, des circonstances et du contexte. L’examen du motif légitime se fait au cas par cas. Ainsi, prétendre que l’arme servirait à mieux affronter une altercation ou un danger ne constitue pas un motif légitime en soi. Cela dépend des lieux, des circonstances et du contexte ». Le contrevenant s’expose à une amende de 15.000 € et un an de prison (art. L317-8, 3° CSI) ! Le même article dispose de la grande clémence étatique, et réduit l’amende à une amende forfaitaire de 500 € en cas de remise volontaire du couteau (article 25 de la loi n°2023-22 du 24 janvier 2023)…

Le principe de l’amende forfaitaire est simple : il permet à un policier, gendarme ou autre agent autorisé de prononcer une sanction pénale sans procès. Ce qui était ainsi l’apanage des contraventions fait son apparition dans le registre des délits après la loi dite de « modernisation de la justice » du 18 novembre 2016. Ainsi, une AFD peut être prononcée face au délit de conduite sans permis ou sans assurance, d’installation illicite sur le terrain d’autrui… et depuis 2023, pour réprimer le port et de transport d’un couteau sans motif légitime. Le problème, rappelle l’avocat Aymard de la Ferté-Sénectère, c’est que, l’amende forfaitaire étant de cinquième classe, son règlement est mentionné au casier judiciaire de la personne sanctionnée. Cette inscription au casier B2 entraîne elle-même l’inscription du contrevenant au Fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA), très gênante pour le chasseur ou le tireur sportif, qui se voit ainsi obligé de rendre ses armes.

« L’AFD, c’est un peu le principe du Judge Dredd ! »

Une source dans les forces de l’ordre nous confie : « Techniquement, on peut contester une AFD devant le tribunal judiciaire… mais en pratique peu de monde le fait, on a donc une vraie solution pour désengorger les tribunaux ». L’AFD serait un outil alléchant pour l’Etat. Il poursuit : « L’AFD, c’est un peu le principe du Judge Dredd ! Une rave-party ? Allez hop, une AFD pour tout le monde, ça calme. Aussi, ça permet de faire du chiffre, quand le Gouvernement et les préfets nous [les FDO] pressent comme des citrons ». Réjouissant. On comprend mieux les réserves du Défenseur des droits au sujet des AFD.

Jusqu’ici, soulignent journalistes et avocats, la jurisprudence des tribunaux témoignait d’une certaine souplesse, les situations étaient réglées par les forces de l’ordre dans le contexte de leurs contrôles. Le saucisson pendant la randonnée était un motif légitime de port de couteau.

Alors, qu’est-ce-ce qui change ?

Les attaques à l’arme blanche égrènent l’actualité, le choix des autorités est actuellement de restreindre le port de certaines armes blanches. En Suisse Alémanique, le débat fait rage autour de zones sans couteau à Zurich. L’iconique fabriquant de couteaux-suisses Victorinox a récemment annoncé travailler sur un modèle « sans-lame ». Au Royaume-Uni, il est interdit depuis septembre 2024 de détenir des « couteaux-zombie » ou des machettes. Ainsi un potentiel agresseur à la hache cessera bien sûr d’être dangereux s’il ne peut plus acheter son arme au Leroy Merlin du coin, comme un honnête citoyen, ou bien la porter dans le tram : « Caramba, ils m’ont eu ! Je préfère ne pas risquer de découper Jean-Pierre si je risque une amende forfaitaire de 500 € en plus de perdre mon coupe-coupe », se dira-t-il sans aucun doute.

Quelle nouvelle a-t-elle mis le feu aux poudres ? Un article du Figaro le 20 septembre 2024 révèle que : « Depuis le 17 avril 2024 dans les zones dépendant des parquets de Bobigny, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Pontoise, Rennes, Saint-Étienne, Toulouse et depuis le 2 mai pour celles sous tutelle du tribunal judiciaire de Paris, les autorités expérimentent la mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 500 euros en cas de port ou transport « sans motif légitime » d’une arme de catégorie D ». Mais alors, Nihil novi sub sole (rien de nouveau sous le soleil), au moins depuis la loi du 24 janvier 2023 créant l’AFD de 500 € pour port d’arme de catégorie D sans motif légitime ! Les contrôles seront-ils plus stricts ? Le contexte du port et du transport sera-t-il pris en compte « comme avant » ? Impossible à dire avec certitude avant que les premiers cas ne se présentent.

Me de la Ferté-Sénectère résume bien le conseil qu’il est possible de donner à ce stade : il est probable que l’expérimentation de cette politique d’AFD contre les couteaux ne change rien au quotidien des randonneurs et autres quidams capables de justifier d’un motif légitime en cas de contrôle – tant que le contexte est correctement pris en compte par les agents en question. En revanche, concernant les chasseurs, tireurs, et en général tous les porteurs de couteau de poche, il est conseillé de refuser de payer l’AFD pour éviter l’inscription automatique au casier judiciaire, ou au moins de demander l’effacement de cette infraction dans le casier. Il est préférable de risquer un « vrai procès », au profit des droits de la défense !

1 Sur la définition d’un couteau, voir l’explication qu’en fait le journal Libération.

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