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Tintin au pays de l’exception de parodie : un voyage périlleux
Dans un arrêt rendu le 4 juin 2024, la cour d’appel de Rennes a précisé les conditions permettant de bénéficier de l’exception de parodie. Invoquée par un peintre breton pour justifier la reproduction sans permission de Tintin dans ses toiles, cette exception permet à tout créateur d’utiliser des oeuvres protégées sans l’autorisations des ayants-droits. A condition toutefois que l’exploitation ait une visée suffisamment humoristique et ne s’inscrive pas dans une démarche commerciale trop importante.
Des représentations incongrues de Tintin insérées dans l’univers du peintre Edward Hopper
En l’espèce, un artiste-peintre breton, Xavier Marabout, a fondé sa démarche artistique sur un mélange de références s’inspirants d’œuvres notoires. Il a ainsi réalisé depuis 2012 une série de 39 toiles mettant en scène de façon érotique le héros inventé par Hergé, au sein de fonds de tableaux empruntés à l’univers du peintre américain Edward Hopper (1882–1967).
L’artiste a mis en scène le jeune reporter en train de lire Têtu ou de draguer des jeunes femmes pulpeuses en tenue plus que suggestive (alors que Tintin n’a jamais vécu la moindre histoire sentimentale dans les albums originaux).
Cette reproduction des personnages de Tintin a déplu à la société Moulinsard (devenue Tintinimaginatio), titulaire de la quasi-totalité des droits d’exploitation de l’œuvre Hergé. Estimant qu’il s’agissait d’utilisations non-autorisées, celle-ci a assigné Xavier Marabout en contrefaçon de droit d’auteur ainsi qu’en parasitisme.
En mai 2021, le tribunal judiciaire de Rennes avait donné raison à l’artiste et rejeté la demande de la société Moulinsart, considérant que les peintures de l’artiste relevaient de l’exception de parodie, en raison notamment de l’effet humoristique provoqué par « l’incongruité » des situations représentées par rapport à l’oeuvre originale.
Mais qu’est-ce que l’exception de parodie, notion au coeur du débat dans cette affaire ?
Figurant parmi les exceptions au droit d’auteur, cette exception consacrée à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, permet d’utiliser des oeuvres protégées sans l’autorisation des ayants-droit, sous réserve que le contenu recherche l’humour et soit exempt d’intention de nuire.
Xavier Marabout condamné en appel en raison de sa démarche commerciale trop importante
Toutefois, en appel, les juges ont en décidé différemment.
La cour d’appel de Rennes a d’abord rappelé que l’exception de parodie devait être interprétée selon les circonstances concrètes du contenu dont l’auteur revendique le caractère parodique. Les juges du fond ont ensuite souligné que l’exception de parodie « exige une intention humoristique évidente[…] : la simple recherche d’une complicité amusée avec le spectateur ne suffit pas, ni un simple clin d’œil […] ».
Selon eux, l’introduction d’« éléments sensuels » (pin-ups) ou disruptifs (Tintin qui lit un magazine gay) ne suffisent pas à caractériser une intention humoristique de l’artiste.
Cette intention a été d’autant plus exclue que le peintre a expliqué vouloir « rendre hommage » à un artiste qu’il admire.
Les juges rennais ont également précisé que la parodie ne pouvait conférer un droit d’adaptation et qu’elle devait être nécessairement ponctuelle, ce qui exclut les démarches commerciales à grande échelle. Or, en l’espèce, l’artiste avait réalisé une série de 39 tableaux sur 8 ans, ce qui exclut le caractère ponctuel et démontre le développement d’un genre en soi.
==> Par conséquent, la Cour d’appel a rejeté le bénéfice de l’exception de parodie et caractérisé la démarche artistique du peintre de contrefaçon, jugeant que ses oeuvres « empruntent les ressorts d’œuvres premières pour s’attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre de leur rayonnement ».
Xavier Marabout a ainsi été condamné à payer 15 000 euros d’indemnisation et 5 000 euros pour avoir parasité le travail d’Hergé.
Un arrêt faisant débat
« Je n’arrive pas à comprendre que je puisse faire sourire les gens et que l’on ne me reconnaisse pas cette intention de faire sourire », a regretté l’artiste au micro de France 3. « Dans la parodie, toute la difficulté, c’est de trouver le bon équilibre entre l’excès et le respect. Je pensais que j’étais bien dans cet équilibre». «Dans l’art contemporain, énormément d’artistes de la pop culture ont revisité les œuvres. Si on me condamne pour cela, on condamne tout un courant de l’art contemporain », a-t-il enfin ajouté.
Dans un article publié dans Le Journal des Art, l’avocat et historien de l’art Pierre Noual considère cet arrêt « sévère, à rebours de la jurisprudence européenne » au vu de précédents où l’exception de parodie a été admise. Selon lui, Xavier Marabout a probablement été condamné en raison de sa « démarche commerciale à grande échelle » (39 tableaux), différente d’une parodie ponctuelle.
L’artiste aimerait se pourvoir en cassation, ce qui suppose d’abord de payer l’amende et engager de lourds frais de justice. A ce titre, il compte créer une cagnotte « pour défendre la liberté d’expression et cette notion de parodie ».
Affaire à suivre …